Un bon producteur attire des films qui lui ressemblent.

Jean Labadie – Le Pacte distributeur des films du Worso

Sylvie Pialat, brune aux cheveux longs avec frange, chemise blanche et pantalon noir, reçoit Cinégotier dans sa maison avec jardin en plein quartier populaire du 18e arrondissement. Devenue l’une des plus brillantes productrices du cinéma français avec Les Films du Worso, la compagne et scénariste de Maurice Pialat, notamment pour Sous le soleil de Satan, Palme d’Or à Cannes en 1987, parle avec autorité, délicatesse et nicotine de la nécessité des films. Subtil mélange de sensibilité et de générosité.

poster_les_chevaliers_blancsWorso késako ?
L’aventure des Films du Worso commence en 1999. Marie-Laure de Decker, photographe de plateau sur Sous le soleil de Satan et Le Garçu, désire alors réaliser un documentaire sur les Wodaabe, nomades du Niger, et leur fameuse fête du Worso au cours de laquelle les hommes en âge de se marier paradent en habits et maquillages devant les femmes. Au mois d’août, je rends visite à Marie-Laure dans sa maison de campagne. Elle apprend que sa production l’abandonne. De mon côté, je caresse le rêve de devenir productrice. Elle doit partir en repérages dès septembre. Je lui avance l’argent – ce qu’un producteur ne doit jamais faire ! – et grâce à France 5, le documentaire parvient à voir le jour.

On vous surnomme la productrice au flair d’or…
Pourtant, je ne flaire rien du tout. A part Alain Guiraudie, je n’ai jamais sollicité un réalisateur. Aux Films du Worso, les rencontres avec les cinéastes se font naturellement, avec talent j’espère, mais sans jamais oublier le travail. Alchimie nécessaire pour produire un film.

Un grand film ?
A chaque production, il faut penser pyramide, et à l’arrivée, on obtient un pâté de sable, même si c’est un chef-d’œuvre. La fabrication d’un film, c’est une entreprise de démolition.

Est-ce qu’un producteur roule sur l’or ?
Il faut donner l’illusion de rouler sur l’or pour être producteur, car c’est un métier qui doit s’exercer avec la même passion qu’un hobby. Il y a 4 ans, les Films du Worso ont failli mettre la clef sur la porte. Par miracle, un investisseur est arrivé. Le niveau de l’eau de la société est passé du front à sous la bouche, et des films en préparation comme La Religieuse de Guillaume Nicloux et L’Inconnu du lac de Alain Guiraudie ont pu se réaliser.

Evoquons quelques pépites du Worso. Guillaume Nicloux d’abord…
Je connais Guillaume depuis très longtemps. Maurice avait lu avec enthousiasme Zoocity, son premier livre, et voulait l’adapter en série. Je contacte alors Guillaume qui confie que les droits à Maurice. Le projet n’a pas vu le jour, Maurice est mort, je suis devenue productrice, Guillaume réalisateur. Il m’a parlé de son désir d’adaption de La religieuse de Diderot, mais voulait faire avant une comédie. J’adore les comédie, même si Worso est estampillé « sombre ». Nous avons commencé à collaborer avec Holiday, puis La Religieuse et L’Enlèvement de Michel Houellebecq pour Arte. Guillaume est un grand sentimental qui s’est longtemps caché derrière la fantaisie noire.

Valley of Love est un film magnifique parce qu’il vibre de sa nécessité, bien au-delà des retrouvailles de Huppert et Depardieu…
Quand Guillaume m’envoie le scénario de Valley of Love, je ressens cette nécessité impérieuse. Impression et émotion que je recherche par dessus tout. Lors de la présentation du film à Cannes, j’ai trouvé cette formule pour le définir : « Vous verrez au début une petite valise, il faut juste monter dedans et se laisser aller. ».

Alain Guiraudie et un autre film nécessaire : L’Inconnu du lac…
Alain, je l’ai appelé sur l’instance de deux amis critiques de cinéma : Serge Kagansky et Frédéric Bonnaud. Je ne connaissais pas son cinéma, et lui avoue mon ignorance au téléphone. Lui aussi désirait aussi me joindre. J’ai eu la chance, si je puis dire, de m’avaler tout Guiraudie dans une salle de cinéma. Le choc ! Et quand je vois L’Inconnu du lac, je me dis : « Voilà pourquoi je fais du cinéma !».

sylvie_pialat_worso_filmsSylvie Pialat

Et la rencontre avec Abderrahmane Sissako et le plus que nécessaire Timbuktu…
La rencontre avec Abderrahmane est provoquée par Frédérique Dumas, ex-Présidente d’Orange Studio. Elle me dit que Sissako cherche un producteur pour réaliser un documentaire à Timbuktu. Il souhaite recueillir des témoignages, envisage de tourner la séquence de la lapidation en animation. Il accepte de faire le film avec Worso, et j’en suis très fière. Entre temps, Hollande lance l’opération au Mali, Timbuktu est libéré, Abderrahmane décide de réaliser une fiction. Intuition que j’avais depuis le début de l’aventure. Il écrit son scénario, et pour des raisons de sécurité, le tournage s’effectue finalement en Mauritanie. Moi qui ne suis pas voyageuse et qui vais peu sur les tournages, j’ai accompagné Sissako partout !

Est-ce que le silence est d’or pour un producteur ?
Avec les cinéastes, on parle du film lors de l’écriture du scénario et pendant le montage. Le dialogue est plus compliqué d’une œuvre à l’autre quand le réalisateur ne tourne pas. Worso tente de construire un nid où chacun peut faire des films selon son rythme et son tempérament.

Passons à Joachim Lafosse…
J’ai rencontré Joachim au Festival de Locarno où nous faisions partie de jurys différents. Je connaissais ses films. Il me parle de Les Chevalier blanc, me fait lire aussi le scénario de A perdre la raison, car il doute d’une séquence. Les vissicitudes de la fabrication font que la production française se retire de l’aventure, et Worso la remplace. Nous avons faits trois films ensemble : A perdre la raison, Les Chevaliers blancs et L’Economie du couple pas encore sorti.

Cette histoire d’infanticide a trouvé son public…
Ce fait divers, très connu en Belgique, est passé sous silence en France. Une femme qui tue ses enfants, c’est un sujet impossible par définition ! Tahar Rahim est juvénile. Emilie dequenne est absolument magistrale…

Et Niels Arestrup, vampire du quotidien.  La fin du film avec les crimes filmés en hors-champ, est magnifique. Est ce que le silence est d’or pour un producteur ?
Avec les cinéastes, on parle du film lors de l’écriture du scénario et pendant le montage. Le dialogue est plus compliqué d’un film à l’autre, quand le réalisateur ne tourne pas. Pendant ce moment, certains réalisateurs sont plus dans le verbe que d’autre. Il n’ y a pas de loi. Worso tente de construire le moins mal possible un nid où chacun pour faire des films selon son rythme et son tempérament.

Nous venons d’évoquer trois films qui s’inscriront sans nul doute dans l’Histoire du cinéma, brillant nombre d’or pour une société de production…
C’est curieux d’évoquer le nombre d’or, Maurice Pialat y croyait beaucoup !

Qu’a-t-il appris à Sylvie la productrice ?
Maurice n’était ni prof’ ni pygmalion. Mon apprentissage a été de vivre 20 ans avec lui… à mort ! à ses côtés, j’ai compris ce qui fait mal à un artiste, le heurte. Cette friabilité que beaucoup ne voient pas, ne comprennent pas, n’est pas un problème pour moi, car je la connais bien et n’en ai pas peur.

Faisons ensemble la danse de la pluie d’or, puis émettons un vœu pour Worso. Lequel ?
De rencontrer quelqu’un qui mise sur mes projets, même les plus risqués. Vous savez, on travaille beaucoup mieux quand on n’a pas la tête farcie de problèmes de trésorerie. Pour de nombreux investisseurs, le producteur représente le bras armé de l’aventure artistique alors qu’il serait plus judicieux de penser qu’il est une partie intégrante de l’identité artistique d’un film. Mon vœu est de trouver un mécène. Je lance un appel !

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Les Films du Worso