Alexander Sokourov adapte en toute liberté Faust I de Goethe. En 2011, le Festival de Venise attribue son Lion d’Or à ce conte féerique, fantastique, métaphysique, troublant, envoûtant. 

Du Faust et Marguerite de Georges Méliès à Phantom of the paradise de Brian De Palma, le cinéma s’approprie le mythe de Faust et s’ingénie à représenter le Mal : Gérard Philippe sardonique dans La Beauté du diable de René Clair, Klaus Maria Brandauer bergmanien dans Mephisto de István Szabó, Robert de Niro sanguinaire dans Angel Heart de Alan Parker… Sokourov a choisi Anton Adasinskiy pour incarner Satan, un usurier qui s’empare de l’âme du Docteur Faust, et la ronge tel un rat. Mi-Nosferatu, mi-Le Bossu, le diable est ici un freak à la Tod Browning avec sa chair fondue, boursouflée, son pénis et ses couilles minuscules situés… à la naissance des fesses ! 

Si Faust, une légende allemande réalisé en 1932 par Friedrich Wilhelm Murnau, propose une vision céleste avec un Lucifer qui étend ses ailes de corbeau noir sur l’humanité, Sokourov, lui, ancre son film à la terre. L’aventure dans la crasse des villes, l’ombre des forêts, l’aridité des rochers. 
Dans son Traité des couleurs, Gœthe revendique la pureté absolue du jaune ouvert à la lumière et du bleu refermé sur l’obscurité. La lutte entre le bien et le mal du Faust de Sokourov épouse à l’extrême la radicalité de cette théorie. Fidèle à son esthétisme expérimental, le Maître délave, déforme ses images. Ces distorsions, méandres de la vanité, trouvent un apaisement dans un champ contrechamp de gros plans somptueux où Faust le ténébreux et Marguerite la solaire semblent s’unir et se séparer à la fois.

Ce chef-d’œuvre débute dans le ciel. Il s’achève par une question à la lune, mais l’astre laisse à l’humanité du XIXe siècle le choix de sa propre voie. Qu’en est-il aujourd’hui?… Le Diable s’habille en Prada, fait chuter les marchés financiers pendant que l’homme dévore les réserves de la terre. Belzébuth est aux anges.

3 raisons d’aller voir le film

1 Pour Alexander Sokourov, le fils spirituel de Andreï Tarkovski. Il fut son élève à l’Institut central du Cinéma soviétique. 

2 Pour les images de Bruno Delbonnel, chef opérateur de Jean-Pierre Jeunet et de Tim Burton (Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, Dark shadows). 

3 Pour clore en beauté la tétralogie de Sokourov sur le totalitarisme et la corruption: Moloch (1999), Taurus (2000), Le Soleil (2005). 

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MK2 Trois Couleurs