.

La première étoile, enfant naturel de La chèvre de Jacques Weber et de Bienvenue chez les Chtis de Danny Boom, possède dans son jeu un atout en plus : une sincérité tendre et familiale puisque ce premier film du comédien Lucien Jean-Baptiste – la voix française de Will Smith, c’est lui! – s’inspire de ses propres souvenirs d’enfance. Si vous avez 7 ou 77 ans, et pourquoi pas entre les deux, unissez-vous et allez voir en famille un film de blacks qui n’a pas peur de faire tache sur la poudreuse.
Malgré une grande faiblesse de réalisation, il arrive parfois à cette oeuvre d’être traversée par une grâce mélancolique. Ce trait, malheureusement trop rare, la distingue des productions françaises hebdomadaires qui condamnent le public à rire trop souvent pour le pire (Cyprien d’Elie Semoun, Coco de Gad Elmaleh…).

Toutes les étoiles de ce long-métrage sont à décerner à l’ensemble de sa distribution : Lucien Jean-Baptiste, Anne Consigny, Jimmy Woha-Woha, Ludovic François, Lorena Colombo, Michel Jonasz, Bernadette Lafont…
Mais la raquette d’or revient à Firmine Richard dont la présence digne d’une Whoopi Goldberg, hisse le personnage de Bonne Maman au sommet des codes de la comédie. Il faut la voir chanter à table de toute son âme une mélodie créole dédiée à De Gaulle face à son fils, quadra largué, qui la regarde médusé.

Firmine Richard & Whoopi Goldberg : même combat !


 

Cette séquence aussi drôle que féroce réunit à elle seule les problèmes de l’intégration, le matriarcat étouffant, le gouffre qui sépare les générations et le peu de rêve qu’offre la société actuelle aux êtres flottants, différents.
Sans céder au mauvais jeu de mot, cette noirceur souterraine évite aux films tous les écueils « racisto-civiquo-démago » et offre, dans une grande fantaisie, une plage ou plutôt un pic de tolérance. Par les temps qui grondent, c’est déjà beaucoup…

***
LA STAR QUI S’IGNORE
Firmine Richard n’occupe pas l’espace, elle le remplit de sa présence, le dévore comme le sourire qui illumine son visage. La plus populaire des actrices françaises black joue la comédie depuis vingt ans. Théâtre, télévision et cinéma ponctuent un parcours escarpé et courageux au sein d’une industrie de divertissement dirigée, donc pensée par des blancs.
Dans La première étoile de Lucien Jean-Baptiste, l’actrice tient le premier rôle. Affublée d’une perruque à bouclettes et d’un anorak grossissant, elle campe une Bonne Maman qui pour le moins décoiffe.
Firmine Richard par Fabien Lemaire
Nous nous sommes rencontrés un jour de grand soleil dans une brasserie populaire du XXe arrondissement de Paris. Elle est arrivée avec des sacs dans les mains. En un rien de temps, elle a occupé toute une banquette de l’établissement à elle seule. Les sacs semblaient se multiplier. Son téléphone rose ne cessait de sonner. Malgré cela, « La Richard » reprenait sans aucun mal le fil de la conversation. Avec l’autorité instinctive d’une patronne, mais aussi la sensibilité à fleur de peau d’une interprète…
Salon du Chocolat 2004
Firmine défile pour le 10e anniversaire

Est-ce que Firmine Richard, petite fille, rêvait d’être une actrice ?…

Mais non, comment voulez-vous ?… Jamais ! Aux Antilles, à la maison, nous n’avions pas accès aux journaux. Encore moins aux magazines de cinéma. Je me souviens de quelques publications pour enfants : Lisette et Spirou. Il y a cinquantaine d’années, il fallait avoir les moyens pour donner à lire des revues aux enfants. Non, jamais je n’ai rêvé de faire du cinéma. C’était un monde à des années lumières de ma réalité.

Vous arrivez en France à l’âge de dix-huit ans…

En 1966. Encore aux Antilles, je suis rentrée aux PTT car j’avais eu l’opportunité d’y travailler pendant les vacances. Ma mère, femme de ménage chez le receveur des douanes, a déménagé en France pour une vie meilleure car le chômage sévissait dans les îles. De Gaulle avait alors mis en place le Bumidom : le bureau d’immigration des DOM TOM. Nous avons suivi la vague d’émigration des Antillais vers la métropole.

Elle est comment la jeune fille qui arrive en France ?

Elle a très envie de vivre sa vie ! Mon certificat de travail en poche, je rentre sans difficulté aux PTT. Je me rappelle parfaitement que je suis arrivée en France au mois de mai. Le 6 juin 1966, j’ai commencé à travailler aux PTT.

`

Votre adaptation est facile ?

Très facile ! Tout d’abord, je suis arrivée par beau temps. J’étais fascinée par tout ce qui m’entourait. J’ai vécu avec ma mère dans un premier temps. Puis, j’ai connu ma période chambre de bonne. À Bécon les Bruyères, puis dans le VIe arrondissement de Paris. Trouver du boulot et parvenir à se loger étaient choses assez faciles dans les années 1960…

La vie culturelle vous intéresse particulièrement ?

Pas plus que cela. La danse occupait le plus clair de mes week-ends. J’allais en boîte tous les vendredis, samedis et dimanches. J’avais vingt ans et je vivais à fond ma jeunesse en France !

Vous évoluez dans la communauté antillaise ?

Je ne me suis jamais mise en retrait de ma communauté. Sans chercher obligatoirement à n’être entourée que d’Antillais, je ne les ai jamais fuis. Je ne supporte pas ceux qui se veulent au-dessus de leurs origines. Chacun construit son intégration comme il l’entend, mais il ne faut pas fuir sa communauté car elle t’appartient et tu lui appartiens. Lorsque tu rencontres un gros problème, tu es bien content de l’avoir derrière toi pour te soutenir. Non, la fuir n’a jamais été ma volonté, ni mon propos !

Les tribulations de Bonne Maman
à la neige


Dans
La première étoile, Jean-Gabriel, le personnage joué par Lucien Jean-Baptiste plane littéralement alors qu’il a une famille à nourrir. Est-ce que son irresponsabilité traduit un malaise culturel ou générationnel antillais ?
Il faut savoir qu’au moment de l’esclavage, l’homme n’était pas responsable de ses enfants. Sa progéniture appartenait à son maître. Donc, il ne s’est jamais senti concerné par la cellule familiale…

C’est une des conséquences gigognes de l’asservissement des noirs…

Voilà. Les enfants étaient condamnés à devenir de la main d’œuvre. En quelque sorte, des objets et des meubles qui appartenaient au maître. C’est ainsi que les hommes se sont transformés en étalons géniteurs, mais sans implication affective. D’ailleurs, bon nombre d’hommes possédaient plusieurs femmes. Cette polygamie arrangeait bien le maître puisque la relève était assurée pour le travail.

Les hommes multipliaient ainsi les chances d’enfanter des bras costauds…

Oui, tout à fait. Cette absence masculine au sein de la famille que l’on peut considérer comme une espèce de tare s’est perpétuée pendant des générations. Résultat, la mère antillaise a élevé ses enfants, mais n’a jamais rien attendu de l’homme qui les a conçus.
Un maître blanc fait donner le fouet à un esclave antillais – 1830


Mais comment éduquait-elle les filles ?…

À devenir de bonnes épouses et de bonnes mères alors que les garçons étaient livrés à eux-mêmes. D’où un dicton qui dit chez nous (elle le prononce d’abord en créole) : « Je lâche le coq dans la basse-cour. Ceux qui ont des poules n’ont qu’à bien les tenir. » !
Cet asservissement a créé une société très matriarcale car ce sont les femmes qui font aussi les hommes !
Petit à petit, les femmes antillaises ont pris conscience de cette problématique. Elles se sont senties responsables de l’irresponsabilité de leurs fils. Lorsque Bonne Maman part à la neige avec son fils, celui-ci est sur le point d’être quitté par son épouse. Elle lui dit : « Ta femme est trop bien pour toi. Tu vas perdre ta famille. Prends-toi en main. Quel exemple donnes-tu à tes enfants ?… ».
Ce périple est pour elle l’occasion de suppléer à l’éducation qu’elle n’a pas su donner à son enfant. Volontairement ou non. Mon personnage œuvre alors à la réconciliation du couple…

Michel Jonasz, propriétaire du chalet, joue les grands-pères par procuration…

Tout à fait. C’est un très beau personnage. Avec Bernadette Lafont, ils incarnent un couple qui ne voit pas leurs petits-enfants. En face de chez eux, débarquent des enfants qui n’ont pas de grands-parents…
C’est très juste car vous êtes, au sens étymologique du terme, une Bonne Maman. C’est-à-dire une Mamie qui est obligée de devenir une mère. Par obligation mais aussi par bonté, elle va s’occuper de toute la tribu puisque la mère (Anne Consigny) a décidé de ne pas les suivre. Quant au père (Lucien Jean-Baptiste), il est presque le fils de son propre fils aîné (Jimmy Woha-Woha), un adolescent très responsable. En plus, vous vous révélez être une vraie cascadeuse sur vos skis !
Rémy Julienne, gare à la concurrence ! (rires) J’ai eu la chance d’avoir une vie avant le cinéma. Après les PTT, j’ai travaillé à la RATP où je me suis retrouvée monitrice de camps de neige. Si bien qu’aujourd’hui, je peux assurer toutes mes cascades sans doublure ! (rires)
Firmine Richard par Fabien Lemaire
Comment rencontrez-vous Coline Serreau pour le rôle de Juliette dans Romuald et Juliette (1989) ?

J’aime à dire que j’étais là au bon moment.

Comme dans la magie d’un conte de fées ?

J’accepte le terme. Je ne crois pas au hasard. C’était écrit comme cela. Dans le milieu du cinéma, tellement de comédiennes attendaient de décrocher ce si beau rôle…
Ce film, à chaque fois qu’il repasse à la télévision, fait grimper l’audimat. Ce qui frappe le plus encore aujourd’hui à sa vision, c’est votre sensualité de déesse. Le regard que pose Auteuil sur votre corps dénudé à peine recouvert d’un drap blanc, contamine le spectateur. Nous tombons tous raides dingues de vous en même temps que lui !
Attention ! (rires)J’ai rencontré la directrice de Coline Serreau qui m’a fait passer un essai. Ensuite, Colline elle-même m’en a fait passer un deuxième, puis un troisième. Et voilà, j’ai été choisie. J’étais ravie, mais je n’avais pas alors vraiment de désir pour le théâtre et le cinéma.

Firmine inoubliable Juliette avec Daniel Atueuil

À sa sortie, le film rencontre un succès d’estime. Il deviendra culte par la suite, mais à part Daniel Auteuil déjà confirmé, aucun des comédiens n’a connu grâce à cette œuvre un élan nécessaire pour l’avenir de sa carrière…

Le film a été monté autour de Daniel Auteuil et de Coline Serreau qui sortait du succès de Trois hommes et un couffin. Moi, personne ne me connaissait. D’ailleurs, j’ai dû toucher à l’époque le dixième du cachet de Daniel ! (rires)

Se retrouver sur un plateau de cinéma vous est agréable ?

C’est une aventure extraordinaire ! Je rencontre Coline Serreau qui a le même âge que moi. Le personnage de Juliette m’était familier. Je connaissais des femmes antillaises qui travaillaient durement pour élever des enfants de pères différents. Le scénario m’a séduit dès la première lecture. J’étais très heureuse d’avoir à interpréter – à raconter d’une certaine façon – cette belle histoire.

Vous pensez alors à un avenir dans le monde de la comédie?

Non, pas à ce moment-là. Pour moi, Romuald et Juliette aurait pu être le seul film de ma vie. Mais quand je fais quelque chose, j’y mets tout mon cœur et j’essaie d’aller jusqu’au bout.


Coline Serreau a la réputation d’être très exigeante avec ses interprètes…

Il faut dire que Coline est avant tout une très bonne comédienne. C’est quelqu’un qui a connu des hauts et des bas à ce titre-là et aussi en tant que réalisatrice. Pour moi, les meilleurs directeurs d’acteurs sont des comédiens parce qu’ils savent quels mots employer pour vous aider à accéder au personnage. Coline, très intelligente et fine psychologue, sait exactement ce qu’elle veut.
Lorsque je dois donner une gifle à Aimé (Sambou Tati), mon fils aîné qui rencontre de sérieux problèmes dans le film, Coline m’a vraiment mise en colère. Je n’avais pas alors conscience du micro et du son à ce moment-là. Je pestais seule dans mon coin et je rêvais de quitter le tournage. Coline, qui m’entendait râler, est venue vers moi et m’a dit : « Fimine, je suis sûre que tu me hais en ce moment ! ».
Avec le recul du temps, j’ai pris conscience de la qualité de son exigence et de la valeur de sa méthode pour parvenir à trouver la juste émotion.

Bonne Maman est un peu une extension de Juliette…

Je suis heureuse que vous le constatiez ! La première étoile est vraiment le film que je me devais de faire après Romuald et Juliette. Bonne Maman, c’est un peu Juliette devenue grand-mère. Juliette rencontrait des problèmes avec Aimé, son aîné. Bonne Maman vit la même chose avec Jean-Gabriel.



Elles ont toute les deux une forme de sensualité très affirmée…

Oui, on peut dire qu’elles sont épanouies. (rires)

J’aime la séquence du Scrabble quand Michel Jonasz, un brin émoustillé, n’ose pas placer le mot « négresse » sur la grille…
Cette scène traite parfaitement d’une certaine forme de culpabilité. Des gens qui n’osent pas appeler « un chat, un chat »…

Oui, un consensualisme ambiant anesthésie tous les mots et toutes les expressions. Pourtant, les plus crues sont parfois pleines d’esprit et tellement sexy…
Oui, tout à fait.

Après Romuald et Juliette, vous partez aux Etats-Unis. Pourquoi ?

Tout le monde aimait le film et me trouvait du talent, mais moi je voulais comprendre pourquoi. Etais-je capable de réitérer cette première fois face à la caméra ? Voilà pourquoi je m’inscris à la Lee Strasberg Theatre and Film Institute pendant la promotion de Romuald et Juliette en Amérique. Le film a bien marché aux Etats-Unis. Il était produit par Miramax… Bref, je rencontre Anna Strasberg qui me donne un dossier. Puis, j’obtiens une bourse grâce à Serge François, alors en poste au ministère des affaires étrangères.
Succès outre-Atlantique pour Firmine

Mama, there’s a man in your bed
8 women

 

Vous sentiez le besoin d’affermir le cadeau de Romuald et Juliette par un apprentissage de la comédie ?

Tout à fait. Coline Serreau m’avait dit que j’avais naturellement ce qui ne s’apprend pas. Je me suis alors dit que je devais acquérir ce qui devait s’apprendre. Il fallait que je me donne les moyens d’y accéder.

Et vous n’avez jamais pensé demeurer aux Etats-Unis pour y faire carrière ?

Non, parce que je suis une actrice française. Si carrière il y a, je préfère qu’elle se construise d’abord ici. Ensuite, là-bas… (elle réfléchit un moment) Mais, pourquoi pas ?…
Vittorio Gassman & Dino Risi
Valse d’amour (Tolgo il Disturbo)

Et vous enchaînez en 1990 avec Dino Risi dans Valse d’amour…

… Et Vittorio Gassman comme partenaire. Superbes rencontres ! Je suis peinée de ne pas avoir revu Dino avant sa mort. Nous avons failli nous croiser une année au Festival de Cannes. Hélas, la vie en a décidé autrement… Je me souviens de cet immense réalisateur me félicitant pour ma performance dans le film de Coline. J’étais très émue et pas peu fière !

Comment était-il sur un plateau ?

Il était d’une simplicité ! Toujours prêt à changer n’importe quel mot de ses dialogues pour moi. Il me considérait comme une grande comédienne.
C’est le premier réalisateur qui vous engage après Romuald et Juliette et aussi une grande figure du septième art qui loue votre talent. Un père spirituel de cinéma qui vous donne crédit en quelque sorte…
Oui, exactement. J’étais à la fois ravie et confortée dans mon choix de vouloir exercer le métier de comédienne.

On aurait pu croire avec de tels parrains de cinéma que votre carrière était lancée…
On aurait pu le croire, effectivement. (rires)

Firmine Richard par Fabien Lemaire

Être black et actrice semblent un mariage difficile à concilier dans un monde de blancs. Même Halle Berry qui décroche l’Oscar en 2002 poursuit une carrière hasardeuse. Récemment, François Dupeyron a réuni un casting d’acteurs noirs pour Aide-toi, le ciel t’aidera. Dans 35 rhums, Claire Denis a retrouvé Alex Ducas, l’un de ses acteurs fétiches…

Même pendant les périodes où je n’avais pas assez travaillé pour toucher les ASSEDIC du spectacle, je ne suis jamais dit: « Je suis noire. C’est pourquoi on ne m’appelle pas ! ». En revanche, je sais pertinemment que je suis une femme noire dans un monde de blancs. Et que les blancs possèdent un regard sur nous que ce soit au niveau du cinéma ou encore en politique.

Pouvez-vous définir ce regard ?

Non, parce que je ne suis pas à leur place. Je ne sais pas comment ils me voient. De mon côté, je possède aussi un regard particulier sur l’homme blanc. Quand je lis un scénario ou une pièce de théâtre, je perçois l’imaginaire d’un auteur ou d’un réalisateur qui me propose un rôle particulier dans lequel ma couleur rentre en ligne de compte. Je comprends qu’un créateur ne puisse pas m’envisager dans tous les rôles car les fondements de sa culture sont composés de Germinal de Zola ou de La princesse de Clèves de Madame de la Fayette. Des œuvres dans lesquelles les noirs sont absents. Dans les influences et l’évolution d’un créateur blanc, le noir est presque toujours accessoire. Donc, je peux tout à faire comprendre qu’il ait à faire preuve d’imagination pour m’envisager dans un rôle.
Carmen Jonesd’Otto Preminger (1954)
L’opéra blanc de Georges Bizet revisité black
Harry Belafonte & Dorothy Dandridge
N’y a-t-il pas une ambiguïté dans votre cas car vous êtes black, mais aussi Antillaise ? Donc, issue d’une culture francophone…
Il n’y a aucune espèce d’ambiguïté chez les Antillais. Pour nous, c’est le cas de le dire, les choses sont très claires. Mais, hélas, le blanc veut toujours penser à la place du noir. Ce que je souhaite dire aux blancs, c’est : « Arrêtez de penser pour nous, ce qui est bon pour nous, ce que les gens vont penser de nous ! ».
Force est de constater que les émotions n’ont pas de couleur. Elles sont les mêmes pour tous. Dans le film, si la famille était portugaise ou espagnole, elle rencontrerait les mêmes problèmes !
Vous avez d’ailleurs joué des rôles récurrents dans des séries tv (La kiné, Le grand patron…). Bon nombre de séries aux Etats-Unis sont composées d’un casting pluriethnique…
Lucien Jean-Baptiste, avec La première étoile, raconte ses souvenirs d’enfance. Les décideurs qu’il a rencontrés trouvaient que c’était une très belle histoire, mais il a fallu batailler et convaincre que les aventures de ces Antillais à la neige pouvaient séduire un large public.
Bonne Maman est un vrai personnage de comédie. Une grand-mère des Vosges ne réagirait pas comme elle…
Mais, oui ! Bonne Maman réagit comme une noire parce que c’en est une. Elle se met à gueuler, puis sourit immédiatement. Lucien est Antillais et il connaît très bien cette façon de réagir différente d’une mère ou d’une grand-mère blanche.

En 2002, François Ozon fait appel à vous pour 8 femmes. Le rôle de Madame Chanel exprime parfaitement la place accessoire du black dans l’imaginaire d’un blanc. Ozon vous fait devenir une extension contemporaine de Mammy (Hattie Mc Daniel), la nounou de Autant emporte le vent de Victor Flemming (1950) et aussi de Annie Johnson (Juanita Moore) dans Mirage de la vie de Douglas Sirk (1959). Votre rapport avec Gaby (Catherine Deneuve), avec sson look et ses airs à la Lana Turner, est une copie conforme de ce chef-d’oeuvre du mélodrame. L’employée noire face à la maîtresse blanche et blonde…
Oui, Madame Chanel est le prototype de la nounou qui a élevé les enfants d’une famille bourgeoise blanche.

Dans son univers, Ozon la pervertit à souhait cette nounou Chanel…

C’est son truc et c’est tant mieux ! J’ai passé des essais avec les comédiennes qui avaient été envisagées pour le rôle de Catherine, la benjamine des filles. J’ai donné la réplique à Emilie Dequenne, Vahina Giocante. Cette dernière a été retenue, mais comme elle est tombée enceinte, c’est Ludivine Sagnier qui a hérité du rôle. Comme quoi, quand les choses sont écrites… Une belle rencontre m’a unie à François parce c’est moi qu’il désirait pour le rôle de Madame Chanel. La seule chose qui m’avait contrariée, c’est qu’il voulait que j’adoucisse mon accent…

On en revient au blanc qui se fait une certaine idée du noir…

Je lui ai envoyé un courrier où je lui ai fait part de mon étonnement. Il me semblait impensable que mon personnage s’exprime avec un accent pointu…
Vous aviez raison. Cet accent renforce l’isolement du personnage. Quand, avec cette pointe de créole, vous interprétez la reprise de Pour ne pas vivre seul autrefois chantée par Dalida, c’est tout l’isolement sentimental du personnage, mais aussi sociologique et géographique, qui se révèle au spectateur…
Bien sûr. Ce film demeure pour moi une très belle aventure. J’avais rencontré François lors de la première de Gouttes d’eau sur pierres brûlantes

Adapté d’une pièce de Rainer Werner Fassbinder …

J’avais trouvé Ludivine Sagnier absolument magnifique dedans. J’aime tellement l’ambiguïté que Ozon insuffle aux personnages de ses films. C’est pourquoi, quand j’ai reçu la proposition de 8 femmes, j’ai dit oui aveuglément avant même de lire le scénario. Je voulais faire partie de son univers. Et ce, quel que soit mon personnage.

 

Maîtresses blanches et servantes noires
Autant en emporte le vent, Mirage de la vie, 8 femmes



Vous tournez 8 femmes quatorze ans après Romuald et Juliette

Oui. Je me suis dit qu’après le gros succès du Ozon, les choses allaient quand même bouger. Mais les mentalités sont si longues à changer…
Quel souvenir gardez-vous de ce tournage en studio tourné dans un décor quasiment unique – donc dans des conditions de travail proches du théâtre – et avec des partenaires d’exception ?
Et aussi un confort de travail exceptionnel. Chaque actrice possédait sa loge. Nous tournions pas très loin de Paris. Tous les jours, nous nous retrouvions toutes dans cette grande salle pour jouer ensemble. Mais auparavant, les comédiennes répétaient séparément dans leur loge avec François. Ce qui a été si formateur pour moi, c’était de voir comment chacune s’attribuait son personnage. Comment elles se trompaient parfois car les actrices sont aussi des êtres humains avec leur sens du contrôle et leur vulnérabilité…

J’ai eu, au fil de mon parcours, la chance de rencontrer ce qu’on appelle des « grands ». Sur Valse d’amour, j’avais joué avec Vittorio Gassman. Vous imaginez ! Eh bien, cet homme ne se faisait jamais doubler pour faire la lumière. Dans le film, il devait donner la réplique à des enfants. Champ ou hors champ, il répétait chaque prise avec la même intensité. Dans le seul but d’apporter de l’imaginaire au jeu des enfants.

Dans 8 femmes, le décor unique fait penser à celui de Dogville de Lars Von Trier. Quel que soit le statut de chacune des comédiennes, vous êtes toutes plongées dans la matière du travail. Il me semble que cet état d’esprit anéantit les clivages de la célébrité…

Je vais vous dire. J’ai toujours remarqué que les plus grands étaient les plus humbles !

Et sept ans plus tard, vous obtenez le premier rôle dans La première étoile…

Oui, une histoire universelle qui fait écho à ma vie et, je crois, à celle de beaucoup de monde. Son succès au Festival international de Comédie de l’Alpe d’Huez le prouve (le film a obtenu le Prix du jury et celui du public). Vous savez, La première étoile sort quasiment jour pour jour vingt ans après Romuald et Juliette…
Whoopi Goldberg par Annie Leibovitz

J’ai une baguette qui exauce tous les vœux de comédie. Lequel désirez-vous le plus ?

Sans hésiter, un film avec Whoopi Goldberg ! Je l’ai rencontrée deux fois. Tout d’abord au Festival du film de Los Angeles où Romuald et Juliette faisait l’ouverture. D’ailleurs, Coline Serreau qui devait tourner le remake du film en Amérique avait fait passer des essais à Whoopi, mais celle-ci n’avait pas été retenue… Bref, lors de ce festival, un hommage était rendu à cette immense comédienne que j’adore. Michael Douglas, Robin Williams, toute l’équipe de Star Strek ont défilé sur scène pour lui faire des éloges. Son tour est arrivé et Whoopi a déboulé avec ses chaussures à la main sous prétexte qu’elles lui faisaient mal !

Je vous vois très bien faire la même chose !

Ben oui, quand on a mal, on a mal et ça vous porte au coeur! Whoopi est la simplicité même malgré son succès colossal. Son combat aussi car ses débuts furent très, très difficiles…
La seconde fois, nous nous sommes croisées en 1992 au Festival de Cannes grâce à Christophe d’Yvoire qui travaillait au magazine Studio. Whoopi était membre du jury et refusait toutes les interviews. J’ai dit à Christophe que j’aimerais bien la rencontrer pour le magazine. Il était enchanté. J’appelle Whoopi, et elle me répond : « Pour toi, je marcherai sur l’eau ! ». Nous avons fait l’entretien et une photo a scellé ce très beau moment.
Pendant la promotion de 8 femmes, Danielle Darrieux déclara à propos de vous : « Firmine Richard est une star qui s’ignore ! »…
Oui, je me rappelle très bien. (rires) Star ?… D’accord, mais elle a raison Danielle, je préfère l’ignorer !


Vous pouvez retrouver cet entretien sur
www.ecrannoir.fr